Stephane Hessel

 


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Le 11 juin, Stéphane Hessel devant un millier de personnes au Vigan

Beaucoup de monde en cette soirée de rallye pour venir entendre Stéphane Hessel. Rien que des indignés ?

Le gymnase du lycée-collège était bien rempli par un public de tous âges venu écouter le message de l’ancien dont le petit fascicule "Indignez-vous" a connu un succès exponentiel ces derniers mois et a été à l’origine de plusieurs occupations de places et autres forums d’indignés dans les capitales européennes. (Grèce - Italie - Espagne - France etc.)

Indignez-vous !

L’ancien diplomate et rédacteur parmi d’autres de la déclaration universelle des droits de l’homme par l’ONU en 1948 a longuement prit la parole pour dénoncer les dérives mondiales dues aux oligarchies et aux milieux financiers omnipotents qui déconstruisent les trames industrielles et sociales issues de l’après guerre avec pour corollaire l’espoir qui avait retrouvé le jour au sortir de ces années plus que sombres.

Partant de l’indignation, Stéphane Hessel encourage ses auditeurs et ses lecteurs à franchir le pas de l’engagement à l’échelle individuelle ou collective.

On ne peut qu’être admiratif devant la prestation qui, malgré le grand âge du conférencier est de facture rigoureuse et d’une expression parfaite. On peut aussi ne pas le suivre sur ses conclusions politiques lorsqu’il s’engage sur le terrain difficile du soutien aux partis.

S’indigner, oui mais avec qui ?

Social démocrate, il a soutenu Martine Aubry, Dominique Strauss Kahn et fleurte à présent avec Cohn-Bendit et Nicolas Hulot. Un panel de présidentiables (ou "ex") qui ne fera sans doute pas trembler les oligarques ni la très libérale commission européenne. Banquiers de tous les pays, dormez tranquilles !

Mais la question est posée : Pourquoi, si ce sont bien les régimes ultras-libéraux et capitalistes qui posent problème, ne sont-ce pas majoritairement les antilibéraux qui mobilisent toutes ces foules d’indignés ? Serait-ce les politiques extrémistes [1] qui effrayent ? Pourtant, il n’est pas utile d’être très radical pour se retrouver à la gauche d’un PS dont la rose a bien pâlit et qui a laissé passer au congrès le traité de Lisbonne contre la volonté du peuple français (non au référendum de 2005). Traité qui valide toutes les options capitalistiques du traité constitutionnel rejeté.

Donner un sens à l’existence

La réponse à ce non-sens gît sans doute justement... Dans la recherche du sens !

L’instabilité qui règne actuellement angoisse à juste titre les peuples du monde. Dans le même temps et étant donné que les crises internationales font les unes des médias et que les crises financières se répètent en boucle mais que nul projet de société ne semble émerger comme ce fût le cas en 48 (1948), nous assistons au retour de la recherche du sens par des citoyens perturbés et en quête de repères.

Les jeunes se retournent pour regarder leurs anciens, du moins ceux qui peuvent leur tracer un chemin vers l’espoir. Mais ne leurrons personne : Les oligarchies qui sont en phase d’entrainer le monde à sa perte actuellement se sont toujours parfaitement entendues avec les sociales-démocraties. Alors pour conclure, s’il faut s’indigner, il le faut aussi des politiques qui font le lit de l’ultra libéralisme et la gloire du FMI et les combattre courageusement sur le terrain politique.

Tout est dans la nuance

Je souhaite que les propos de Stéphane Hessel participent à une indignation générale et grandissante mais également que les citoyens aillent jusqu’à s’approprier les droits de l’homme comme par exemple le droit au travail, et non pas le droit... de travailler (Traité de Lisbonne) ainsi que tous les autres droits qui sont à la peine en ce moment sous la férule des agences de notation américaines.

Source : Le Blog de Pierre


Entretien : Stéphane Hessel aux Écodialogues du Vigan

Né en octobre 1917, Stéphane Hessel, résistant, diplomate, co-rédacteur de la Déclaration universelle des Droits de l'Homme et auteur du fameux "Indignez-vous !", était, début juin, l'invité des écodialogues du Vigan. Le gymnase du lycée du Vigan, réquisitionné pour l'occasion, accueillait les 2000 personnes venues l'écouter. Après avoir retracé l'évolution des relations entre les institutions étatiques et l'environnement au cours de la deuxième moitié du 20ème siècle, qu'il concluait par un "Rien ne sert de s'indigner si l'on ne s'engage pas !", il a répondu aux questions de l'assemblée présente ce soir là. Chaque personne pouvait inscrire une ou plusieurs questions sur des petits papiers distribués à l'entrée, et Éric Doulcier, maire du Vigan, s'est chargé de lui poser ces questions qui lui avaient été transmises. Voici la quasi intégralité de cet entretien dont a bénéficié le public viganais, venu en masse, avec le fringuant nonagénaire plein d'humour, de vivacité et de lucidité, l'infatigable résistant indigné.


L'assemblée : L'écologie est-elle compatible avec une économie réaliste ?

Stéphane Hessel : D'abord, qu'est-ce que le réalisme ? Si le réalisme consiste à dire ça fonctionne comme ça donc, ça ne peut pas fonctionner autrement, alors, c'est un réalisme pessimiste auquel on ne doit pas souscrire. Si on dit : l'économie telle qu'elle fonctionne est si solidement intégrée dans les habitudes de travail des uns et des autres, pas seulement des capitalistes eux-mêmes, mais des économistes de la terrible école de Chicago qui nous disent : "le moins d'Etat possible, et le plus de privatisations possibles", alors, si on se dit, ces forces-là vont être très difficiles à combattre, là on a raison. On a donc raison de dire : il faut que nous dépassions la crainte devant leur soi-disant réalisme, la crainte devant ces forces qui veulent que ça marche autrement et qui sont trop solides pour être combattues efficacement. Alors là, je dis : c'est un découragement auquel il faut pouvoir trouver une réponse. La réponse, à mon avis, existe déjà dans pas mal de modifications du fonctionnement de l'économie qui émergent pour la rendre compatible avec une bonne protection de l'environnement. Beaucoup de gens y ont réfléchi et ont fait des propositions là-dessus. (...) La question est suffisament importante pour qu'on s'y arrête un moment. Il faut effectivement aller au-delà du seul mot : économie. Si on dit : il y a une opposition entre l'écologie et l'économie, ça veut dire que l'on pense que l'économie est une fois pour toutes ce qu'elle est, et que la transformer va être difficile. Eh bien, en disant ça, on a raison. Il faut connaître ses adversaires. Si on veut progresser, il faut savoir qui a des chances de vous en empêcher. Je pense que le premier effort à faire après avoir d'abord constaté que les choses ne vont pas et qu'il faut donc s'indigner, le premier effort difficile à faire, c'est de dire : mais de qui vraiment est-ce que ça dépend ? Est-ce la faute du parti socialiste, la faute du gouvernement français, la faute de l'absence d'organisations non gouvernementales suffisament nombreuses pour que ça change, la faute de cette petite oligarchie ? L'oligarchie, un mot qui m'est très cher, et que je partage avec quelqu'un dans cette salle... (sans doute Hervé Kempf NDLR) L'oligarchie, il faut la connaître. Il faut savoir comment elle se constitue et quelles sont les faiblesses, les précarités qu'il faut détecter en elle pour vraiment la faire tomber de son piédestal.

L'assemblée : Pour faire progresser la société, doit-on compter plus sur l'évolution du comportement des citoyens, ou sur nos hommes politiques et l'oligarchie ?

S. H. : Je suis très reconnaissant à celui qui a posé cette question. Parce que, actuellement, ce qui me confronte, même parmi mes meilleurs amis, avec le plus de véhémence, et contre quoi j'ai du mal à obtenir une vraie conviction, c'est de dire : les hommes et les femmes politiques sont incapables de nous mener là où nous devons être menés. (...) Alors, peut-on compter sur eux ? Peut-être pas. Faut-il par conséquent se situer, je ne sais pas trop comment, en dehors du terrain politique ? Nous vivons dans des sociétés qui ont des constitutions et des institutions, et ces institutions sont en principe démocratiques. Dire : les institutions sont actuellement menées par des femmes et des hommes politiques qui ne sont pas capables de faire ce que nous voudrions qu'ils fassent, c'est une façon de se dédouaner, de ne pas aller voter, de ne pas aller soutenir, parmi les différentes forces démocratiques et politiques, ceux dont on pense qu'ils sont capables, à condition d'être soutenus par nous justement, de faire quelque chose pour que ça aille mieux. Je voudrais inciter tous ceux qui sont dans cette grande salle à surtout, surtout : ne vous abstenez pas dans le vote ! Soutenez des femmes ou des hommes politiques car, si vous ne les soutenez pas, ce n'est pas eux qui vont transformer leur façon d'opérer, c'est votre soutien, lorsqu'il est exigeant et ambitieux, qui permettra de progresser. Donc, nous vivons dans des États où des changements importants ne peuvent se faire, en principe, que par les gouvernements. Et c'est la pression des citoyens sur les gouvernements qui doit prendre le canal des partis politiques, car il n'y a pas d'autre canal disponible, c'est là qu'est le premier devoir. Le deuxième, c'est de ne pas s'arrêter au seul pays dans lequel on vit, et de soutenir des mouvements mondiaux, il y en a, des forums sociaux et mondiaux, qui exercent une pression plus générale sur l'opinion publique en général. De ça aussi, on en a besoin. Mais, ne disons pas que la politique, dans un pays démocratique, ne sert à rien. Elle est, au contraire, la voie, la voie la plus efficace possible, plus efficace que tout autre rêve pris en commun. Et donc, il faut utiliser ce qui existe. Vous n'êtes pas dépourvus, vous, Français et Françaises, de moyens de choisir entre des forces politiques qui existent. Lorsque vous les trouvez insuffisamment courageuses, vous pouvez leur apporter votre surcroît de courage. Lorsque vous les trouvez merveilleuses, mais insuffisamment appuyées, comme l'est, à mon avis, actuellement ce groupe Europe-écologie, et bien, vous pouvez le soutenir, et lui donner plus de forces.

L'assemblée : L'exploitation des gaz de schiste ne pose-t-elle pas plus largement la question de nos politiques énergétiques, et du modèle qu'on propose aux pays en voie de développement ?

S. H. : C'est tout à fait fondamental. Pour moi, d'abord, concernant le gaz de schiste, le plus terrible serait que, un village dise : "Oh, pas chez moi, mais plutôt chez le voisin", une première réaction qu'on peut comprendre, mais c'est évidemment le contraire de la réaction qu'il faudrait soutenir. S'il est acquis que l'exploitation des gaz de schiste pose des problèmes d'une gravité évidente au fonctionnement même de la géologie, au fonctionnement par conséquent de la poursuite de la vie sur Terre, eh bien, il faut à tout prix dire : Bannissons, bannissons cela ! Ne nous laissons surtout pas convaincre par des gens qui vont nous dire : "Oh ben vous savez, c'est pas si grave que ça, c'est moins grave que d'autres choses. Là, on peut y aller, ce sera toujours un bénéfice pour certaines régions..." Bref, le soutenir comme un moindre mal, c'est à mon avis aller dans le mauvais sens. Je crois que c'est un mal, et qu'il faut savoir résister à ceux qui ont de "merveilleuses" idées scientifiques, techniques et autres : "Vous allez voir, ça va marcher formidablement...", si on peut leur dire tout de suite : écoutez, là, stop ! Si on avait pu dire ça aux inventeurs de l'énergie nucléaire, nous ne serions pas engagés, comme nous le sommes aujourd'hui, dans une situation dont il est vraiment, et notamment pour notre pays, difficile de se dégager. Mais, il faudra s'en dégager. Alors, pour les gaz de schiste, à l'évidence, il faut dire non ! Radicalement et simplement, non. Sans aucune concession. Alors, que faire à la place, c'est tout le problème. Et là, j'aimerais bien passer la parole à Thierry Salomon...*, mais, s'il n'a pas envie de parler aujourd'hui, je dirai simplement que c'est une question sur laquelle il faut lire les meilleurs auteurs. Il faut savoir se documenter, car il y a des façons, non seulement d'économiser de l'énergie, c'est déjà fondamental de ne pas la gaspiller, mais aussi de trouver les énergies renouvelables dont l'exploration n'est pas encore parfaite, et où il y a encore sûrement beaucoup à apprendre, et beaucoup à mettre en oeuvre.

* présent dans l'assistance, Président de l'association négaWatt, voir Entretien Aig n°18, il sera l'invité des écodialogues du Vigan les 18 et 19 novembre prochain.

L'assemblée : Quelles actions non violentes pourraient amener nos élus politiques et les acteurs économiques à se poser les questions fondamentales du vivre ensemble ?

S. H. : La question pose là le problème très général de la non-violence. Il est évident que pour toute personne raisonnable, il vaut mieux dialoguer avec ceux dont on ne partage pas les vues, ou dont on n'aime pas les actions plutôt que de taper dessus, ou d'utiliser d'autres formes violentes. Il est vrai aussi qu'il y a des situations dans le monde, et il y en a une que je n'hésite jamais à évoquer, c'est la relation dont sont victimes actuellement nos amis palestiniens face au gouvernement et à l'armée israélienne, il y a des situations où la violence se fait sentir d'une manière telle, avec une telle suprématie sur les forces qu'elle opprime, qu'on comprend qu'il y ait un besoin de contre-violence qui est éprouvé profondément par les gens ainsi soumis à l'oppression. Peut-on dire : oui, mais ce n'est pas efficace ? Car évidemment, quand un faible utilise la violence contre un fort, le fort va répliquer par une violence plus grave encore, et le problème n'avancera guère. C'est ce que, depuis quarante ans au moins, nous voyons se faire en Palestine. Chaque fois qu'il y a un peu de violence de la part des Palestiniens, même si c'est, par la force des choses, une petite violence, la répercussion est une grosse violence de la part de l'armée israélienne. Donc, il faudrait se dire, mieux vaut la non-violence. Je donne toujours un exemple de la petite ville de Vidaïn en Cisjordanie, qui, tous les vendredi, fait des marches non violentes - surtout pas de cailloux - en direction des soldats israéliens. Et, lorsque les soldats israéliens répliquent, eux, avec des gaz lacrymogènes et shnapball, eh bien, ils reculent. Mais, comme ils n'ont pas employé de violence, ça finit par se savoir, et ça a une portée sur l'esprit même des Israéliens. Donc, qu'il faille essayer d'utiliser en toutes circonstances la non-violence plutôt que la violence, la négociation plutôt que la confrontation violente, j'en suis partisan. Je relève que parmi les quelques changements bénéfiques dont ma génération a été témoin, ceux qui se sont passés sans violence ont été les plus efficaces. Je pense à Gandhi. Je pense à Mandela. Je pense à Gorbatchev, et il y en a d'autres. Je pense à Martin Luther King. La non-violence est probablement, à la longue, la manière la plus efficace de transformer une situation insupportable. Mais, je reconnais volontiers qu'il y a beaucoup de situations, locales ou même plus larges, qui suscitent la violence comme contre-violence à de la violence très forte. Il faut constater que l'homme est encore violent.
On n'a pas suffisamment lu Edgar Morin, "La voie", parce que il nous dit : "Vous allez pouvoir arriver à une métamorphose", c'est à dire, vous allez devenir tous des hommes et des femmes bons, harmonieux. Il y a même ici, je crois, dans cette salle des gens merveilleux qui parlent de "l'observatoire international du bonheur". Pourquoi pas. Alors, le bonheur, c'est sans violence, ou avec une violence poétique, mais pas militaire.

L'assemblée : De quel type de sagesse avons-nous besoin à notre époque ?

S. H. : Je pense que nous avons aussi une autre chance, c'est que nous connaissons mieux aujourd'hui, les nombreuses civilisations, les nombreuses cultures, qui existent simultanément sur notre planète. Je suis particulièrement attentif aux cultures qu'on appelle les cultures aborigènes. Il se trouve que mon éditrice, Sylvie Crossman, est particulièrement calée sur la connaissance de ces cultures aborigènes. Dans ces cultures, il y a des sagesses, que nous avons peut-être laissé tomber. Je pense que la sagesse est quelque chose qui se rattache fondamentalement à ce qu'il y a de plus humains en nous. Tout à l'heure déjà, on a utilisé le mot dignité. Je pense que, entre dignité de la personne humaine et profonde sagesse de l'humain, il y a des liens. Pouvons-nous aujourd'hui prendre connaissance des sagesses tibétaines, des sagesses navajo, des sagesses de civilisations qui ont réussi, et là, nous nous remettons dans la notion d'environnement, qui ont réussi, souvent dans des conditions très primitives, comme nous dirions, mais peut-être empreintes d'une grande sagesse, de garder le contact avec leur environnement, au point de se protéger contre l'arrivée massive de la grande civilisation mondiale. Là, il y a des sources de sagesse. Quand on a beaucoup voyagé, comme moi, en Afrique, et qu'on a entendu des Africains pour lesquels, et ça, ça me fait toujours plaisir, les vieux sont considérés comme porteurs de sagesse. Hein, ça, c'est pas mal ça pour un gars qui est plutôt vieux. (rires et applaudissements dans l'assemblée) Eh bien, il faut, je crois, ne pas rester sourd à ces éléments de sagesse, éléments précieux, et à essayer ensemble de formuler, peut-être, les grandes valeurs fondamentales qui permettraient à l'humanité d'être un petit peu plus sage qu'elle n'est.

L'assemblée : Croyez-vous possible de se passer des marchés financiers internationaux et d'échapper ainsi à leur contrainte ?

S. H. : Disons-le franchement, c'est peut-être la question fondamentale. Il me semble que nous avons déjà parcouru un peu de domaines où il y a des choses qui sont belles et acceptables, et des choses qui sont dangereuses et nocives. La libido posidendi, qui est ce besoin d'en avoir plus que les autres, et donc de faire fonctionner une économie des marchés sans régulation. C'est-à-dire une économie des marchés qui permet plus facilement aux riches de devenir encore plus riches, qu'aux riches de distribuer une partie de leurs richesses à ceux qui en auraient besoin. C'est malheureusement cela, me semble-t-il, que nous voyons fonctionner dans le monde d'aujourd'hui. Je vous renvoie à des économistes comme René Passet, comme Joseph Liepschist, qui nous ont bien démontré que le fonctionnement du marché international, mondial, sans régulation est très grave. Alors, qui pourrait le réguler ? C'est là que nous rencontrons les plus fondamentales, mais, il n'y a pas de raison que nous ne puissions pas les surmonter. Il faudrait d'abord avoir des États courageux. Ça, c'est peut-être presque un oxymore, comme disent les grammairiens. Les États sont sous la pression de ce qui les fait vivre, qui est l'argent. Ils ont besoin de budgets, et pour ça, ils ont besoin de céder aux pressions des capitaux qui leur demandent de privatiser, et encore de privatiser. Auront-ils un jour, grâce aux citoyens qui font pression, le courage, la détermination nécessaire pour dire non à des marchés plein de paradis fiscaux ? C'est bien le paradis, mais quand c'est un paradis fiscal, c'est terriblement dangereux pour le reste de l'économie. Donc, aurons-nous un jour des gouvernements, démocratiques bien sûr, courageux, bien sûr ? Et qui disent : "Ça, non ! Nous avons une responsabilité, au nom de la Déclaration universelle des Droits de l'Homme. Nous devons veiller à ce que les droits économiques, sociaux, civils, politiques de tous nos citoyens sont respectés. Or, ils ne le sont pas. Parce que je suis moi victime, moi État, victime de la façon dont fonctionne l'économie du capitalisme de marchés". Eh bien, s'ils ont ce courage, ça ira mieux.

L'assemblée : Qu'appelez-vous les grands équilibres de la planète, et quelle est la place de la démographie dans ces grands équilibres ?

S. H. : Parmi les gens que j'ai eu la chance de rencontrer dans ma vie, les plus inquiétants sont les démographes... (rires du public) D'un côté, ils nous disent : "Vous allez voir, la démographie est une courrrrrbe... Et cette courbe va, un jour, retomber, et ce qu'il risque de nous arriver, dans quatre ou cinq siècles, c'est qu'il y aura beaucoup moins d'hommes sur la Terre. Vous allez voir ça, ils ne feront plus d'enfants. Il n'y aura plus..." il y aura encore quelques démographes, sûrement, mais "il n'y aura plus assez de population." Seulement, il y en a d'autres qui nous disent : "C'est curieux, mais déjà, dans un certain nombre de pays où on pensait que le planning famillial était implanté, c'est curieux, mais les dernières statistiques montrent qu'ils ont encore plus d'enfants..." Donc, je pense que les démographes ne nous donnent pas beaucoup d'espoir sur une éventuelle stabilisation de la société humaine. Mais, il est vrai qu'ils ont raison de nous rendre compte de leurs observations. Et, dans ce sens, la vision à laquelle il s'agit de souscrire, doit être une vision qui tienne compte du nombre de bouches à nourrir, du nombre de logements à construire, et qui tienne compte de ce que la démographie est en évolution aussi géographique. C'est à dire que nous sommes face à des mouvements migratoires déjà considérables, qui risquent de l'être encore plus. Et là, les démographes nous disent que, eh bien, il va falloir que les pays où il y a de la place pour créer encore de nouveaux emplois, ouvrent leurs portes aux hommes et aux femmes de pays où il n'y a plus moyen de travailler. Il y a donc, sur le plan des mouvements migratoires, un énorme travail à faire, auquel les démographes nous invitent, mais, qui exige de la part des populations une ouverture d'esprit, une générosité dans l'accueil qui est plus difficile à faire susciter que de susciter avec malice la xénophobie et le refus de l'autre.

L'assemblée : L'indignation ne devrait-elle pas être un réflexe de la jeunesse ?

S. H. : Alors, nous touchons là à ce qui, je vous l'avoue, m'a le plus inquiété. Lorsque ce petit livre a eu le succès, à mon avis imprévu, qu'il a eu, je me suis dit : Finalement, qu'est-ce que c'est cette indignation ? Est-ce que c'est une réponse, une réponse efficace à la situation dans laquelle nous nous trouvons les uns et les autres ? Il faut bien reconnaître que, très vite, on se rend compte que ce n'est pas une réponse efficace. C'est un stimulant. Alors, est-ce qu'il est particulièrement pour les jeunes ? Curieusement, je n'en suis pas sûr. Je suis tombé sur des gens, l'autre jour, un homme âgé qui m'a dit : "J'ai un fils de quatorze ans qui a acheté Indignez vous !", parce qu'il avait les trois euros nécessaires, c'est pas cher, hein... "... et qui me l'a offert à moi, son grand-père, en disant : Tiens ! Tu devrais lire ça." Il y a aussi beaucoup de gens qui ont acheté quinze exemplaires pour le distribuer à leurs enfants, leurs petits-enfants, leurs neveux et leurs nièces. Il y a encore quelques grandes familles en France... Heureusement... (rires dans la salle) Donc, cette indignation, c'est un élément du problème, mais évidemment pas du tout, la solution. La première réponse que je fais à cela : après avoir acheté et lu "Indignez vous !", procurez-vous "Engagez vous !" qui va un peu plus loin, en disant comment il est possible de traduire cette indignation en actions, actions concrètes, actions citoyennes, actions faites, non pas seul, mais à plusieurs. C'est là, me semble-t-il, qu'il faut rechercher le fondement de cette indignation. Je rappelle aussi que le petit livre dit clairement que la raison pour laquelle il est juste de s'indigner, c'est que certaines valeurs fondamentales, valeurs qui ont surgi de notre passé et qui sont encore des valeurs centrales de la démocratie, sont violées ou insuffisament soutenues. C'est ça qui justifie l'indignation, et non pas le fait que le cordonnier m'a, encore une fois, fait un soulier qui me fait mal aux orteils...

Propos recueillis par Guillaume KOSMOSVKI,
L'Aigoualité pour Tous



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