L’arboretum
de Pézanin (Saône-et-Loire) fut constitué par la famille des Vilmorin dès la
fin du XIX°siècle, au cœur d’une région forestière partagée entre le
Clunisois, le Charollais et les premiers monts du Beaujolais. La route désormais
connue sous le nom de « Centre-Europe/Atlantique » passe à quelques
kilomètres au nord de la commune de Dompierre-les-Ormes, où se situe Pézanin.
Ce
petit massif, devenu peu à peu forestier, couvre 25 hectares dont 5 couverts
d’eau.
Il
s’étage sur les versants d’une petite cuvette dont le barrage constitue le
centre. Les essences exigeantes en humidité furent installées à la queue d’étang,
zone de petites sources (les pentes sont un peu plus marquées entre la queue
d’étang et la digue artificielle). En aval du barrage, dans le thalweg,
furent également plantées des espèces de sols frais et profonds comme le Liriodendron (tulipier), le Cercidiphyllum
et d’autres encore, comme un Abies
grandis Dougl. dont la taille énorme est l’une des curiosités de
l’arboretum.
La minuscule pépinière et les bâtiments de service se trouvent à
proximité de la digue. La partie construite comporte le logement des officiers
forestiers, comme on disait autrefois, un appartement de gardien, un grand
bureau (qui a dû servir de laboratoire) et des garages. A mon arrivée à Mâcon
en 1979, un vieux gardien retraité, Monsieur Bergeron, occupait encore les
lieux et acceptait de faire visiter l’arboretum (toujours dans le même sens
car il avait appris la liste des essences par cœur dans le sens des aiguilles
d’une montre en tournant autour de l’étang). Après son décès, tout a été
fait pour préserver les bâtiments qui furent exploités par le service de
l’action sociale de l’Office, déjà gestionnaire du logement des officiers.
Le service local se réservait l’ancien laboratoire et les garages.
Vilmorin avait divisé l’arboretum en petits carrés de 20 mètres de côté
dont les angles étaient matérialisés par de belles bornes de pierre gravées
qui existent encore presque partout. On avait affecté chaque carré à une espèce
et les densités de plantation ont pu aller jusqu'à un pied au m2.
Plus de milles espèces furent ainsi
« acclimatées », provenant pour l’essentiel du sous-continent
nord-américain, de l’Extrême-Orient et de l’hémisphère sud.
Les « collections » comportaient à la fois des arbres et des
petits arbres ou des arbustes à fleur comme Cornus
florida, divers Hamamelis, Armeniaca
brigantiaca Pers., divers Rhododendron,
Philadelphus, divers Diervilla (Weigelia)...exemples
tirés de mémoire.
L’arboretum fut vendu à l’Etat entre
les deux guerres et entretenu par les services de la Recherche Forestière de
Nancy jusqu'à la réforme de 1966 qui en fit une forêt domaniale remise à
l’Office National des Forêts.
Mon prédécesseur au poste de Mâcon avait proposé pour ce petit massif
isolé des autres forêts publiques un aménagement orienté vers la production
de bois d’œuvre résineux. Il faut dire que le nombre des espèces de
collection était tombé à moins de 150 (mon premier inventaire), beaucoup étant
disparues, soit par inadaptation, soit par manque de soins ou de lumière.
Le site était colonisé par des semis de douglas dont la production,
mesurée sur les pieds introduits par Vilmorin, dépassait 20 m3/ha/an, ce qui
avait beaucoup impressionné l’aménagiste. La régénération comportait également
un nombre invraisemblable de petits sapins hybrides entre Abies alba Miller et ses voisins « méditerranéens ».
J’étais
convaincu qu’il fallait revenir à la vocation primitive d’arboretum pendant
qu’il était encore temps de le décider. En effet, différer ce choix de
quelques années revenait à perdre d’autres sujets de collection et à concrétiser
l’envahissement par la régénération naturelle du « tandem » que
j’ai évoqué plus haut . Mon argumentation reposait sur le fait qu’il
me paraissait impossible d’apprécier l’aptitude à l’acclimatation
d’espèces arborées avant au moins 1 ou 2 siècles, car trois points au moins
méritaient une vérification formelle :
·
Aptitude à la régénération naturelle, nécessaire dans un pays ou
celle-ci constitue l’un des fondements de la sylviculture ;
·
Adaptation générale au milieu, que ce soit en matière de résistance
aux conditions de l’environnement (vent, neige, températures, hygrométrie
relative et bien d’autres facteurs sans doute que nous ne savons pas mesurer),
ainsi que le comportement du sujet vis à vis des maladies, parasites... ;
·
Intérêt du bois.
Il
était donc important de maintenir le cap et de ne pas céder à la solution de
facilité offerte par le Douglas et ses congénères en attendant la fin d’une
expérience lancée vers 1900 et dont l’échéance, selon moi, ne pouvait être
anticipée avant 2050.
Les
tempêtes de 1981/82 furent d’une violence inouïe et ravagèrent le Puy-de-Dôme
et la Saône-et-Loire avec des vents ayant soufflé à plus de 250 Km/heure.
Elles détruisirent plus de 2.000
m3 de bois dans l’arboretum - 100 m3/ha ! - essentiellement parmi les
plus élevés (généralement des douglas). Après un laborieux nettoyage, le
service constatait que la plupart des espèces de collection, plus petites,
avaient résisté au phénomène. L’ambiance était donc favorable à la
validation de l’orientation que j’avais pressentie.
L’Ingénieur
Général Pourtet, alors très âgé, passait chaque année depuis longtemps.
Ses visites étaient discrètes car il aimait retrouver le logement de service où
il avait résidé autrefois ainsi que le garde Bergeron, qu’il connaissait
bien. Ayant pris connaissance de mes orientations, il me donna vite des
instructions directes que nous suivions avec soin entre ses passages. Je peux me
souvenir de quelques exemples :
«
dégager les boisements de Tsuga mertensiana Bong, trop sombres »
« préparer
du matériel d’escalade (échelles) pour identifier, à la floraison, les espèces
du genre Carya ou Pterocarya »
« rechercher,
dans les archives, comment furent disposés, par Vilmorin, les chênes blancs américains »
( dont l’identification resta d’ailleurs impossible)
« dépresser
les renaissances de pins botaniquement identifiées »
« soigner
les plaies, après la tempête de 1981, sur des sujets rares comme le
Cunninghamia ou le grand Sciadopitys »
« éclairer
les quelques pieds de Nothofagus ayant survécu »
« enrichir
notre arboretum, dans les vides créés par la tempête de 1981, par une
collection d’érables nord-américains recueillis auprès d’un pépiniériste
« collectionneur » qui souhaitait les installer en forêt d’Etat »
et surtout... « remettre les étiquettes
à leur place » !
Ces
choix furent acceptés avec enthousiasme par
le personnel, Monsieur Cesco, chef de triage, qui travaillait de ses mains même
le dimanche, Monsieur Michelet, Technicien forestier à Charolles, les Ingénieurs
de la division de Mâcon (MM. Isnard et Masson) et au-dessus de nous, le
Directeur Régional, qui ne ménageait pas sa bienveillance. Mon successeur,
André Desmartin a poursuivi dans cette voie, son successeur a fait de même...
Les
élus locaux et parmi eux, Monsieur Malaux, un personnage politique connu en
France, maire de Dompierre-les-Ormes, ont apprécié nos efforts et ils ont
facilité la mise en valeur touristique ou foncière (acquisition d’anciens
terrains SNCF bien placés).
A
ma connaissance, aucune espèce spécifique à Pézanin n’a été utilisée à
grande échelle en reboisement. Le constat est le même pour les 11 ou 12
arboreta de l’Aigoual que je devais ensuite prendre en gestion après mon
affectation dans le département du Gard, survenue en 1984. Georges Fabre et
Charles Flahault avaient pourtant imaginé un dispositif scientifique
remarquable, très en avance sur son temps, avec un réseau d’arboreta
habilement répartis à des altitudes, et sous des expositions différentes. Je
n’avais qu’à suivre et ... observer. Il est vrai que dans les Cévennes,
rien ne venait menacer directement leur existence à l’exception de
...l’oubli et du manque de crédits (le plus connu d’entre eux, l’Hort
de Dieu, était toutefois périodiquement endommagé par une petite
avalanche que provoquait la rupture du névé - proche de l’Observatoire de
l’Aigoual - sorte de langue neigeuse alimentée par le vent du nord qui étendait
peu à peu celle-ci au-dessus du versant dominant l’arboretum).
L’absence
de résultats pratiques est d’abord explicable par le fait que les grandes
essences de reboisement introduites doivent leur fortune à d’autres réseaux
que ceux entretenus à Pézanin ou dans les Cévennes. L’histoire des
introductions du Douglas, du Cèdre, du Noyer noir et dans une moindre mesure,
du Tulipier, des Chênes rouges d’Amérique, des Sapins méditerranéens, des
Epicéas orientaux, du Séquoia...se rattache à une multitude d’observations
et d’initiatives au niveau national, qui dépassent largement le cadre de Pézanin
ou celui de l’Aigoual.
D’autre
part, les spécificités de Pézanin portent sur des végétaux d’une certaine
rareté comme le Cunninghamia déjà cité et d’autres Taxodiacées non moins
rares en France, sur des collections de Nothofagus etc. dont la présence relève
plutôt d’un conservatoire botanique.
Toutefois,
je suis persuadé que cette absence d’exploitation des résultats locaux a
d’autres explications :
1 - Les grands reboisements passés
ont concerné les montagnes (Restauration des terrains), ou d’autres milieux
difficiles comme les dunes, avec une hantise de l’échec qui faisait préférer
des espèces déjà éprouvées, le seul problème posé étant alors celui de
leur provenance ;
2
- La grande saignée de 1914-1918, qui a vu périr tant de forestiers, a entraîné
un peu partout le ralentissement des efforts antérieurs.
Une
relance a été observée ensuite ; l’affectation, par exemple, du
« produit des jeux » aux reboisements a généré une relance.
J’en ai géré quelques uns dans la Région de Bar-sur-Seine, toujours effectués
à l’aide d’essences extrêmement classiques. Une reprise identique s’opérait
dans mon 3eme poste, avec ce qu’on a appelé « l’Ecole de Nîmes »
impulsée par de vigoureux conservateurs comme Ducamp ou Nègre. La reprise des
reboisements RTM dans les Cévennes Orientales (bassins des Gardons, du Galeizon,
de l’Homol) a largement valorisé la grande famille des pins laricio ;
les tentatives de conversion - ou de transformation - en futaie de la forêt
domaniale de Valbonne ont été décrites par l’inspecteur Flaugère dans un
livre remarquable. Là encore furent instituées des placettes d’observation
avec des essais d’essences potentielles abandonnées par la suite.
Après
la seconde Guerre Mondiale, qui brisa cette reprise, le Fonds Forestier National
offrait une perspective d’extension d’essences forestières, mais la liste
des espèces subventionnées était au départ très prudente et limitée à des
espèces résineuses d’introduction « éprouvée ». C’est ainsi
que, dans mon premier poste de stage, au Cantonnement de Joinville en
Haute-Marne, il était impossible d’enrichir les taillis-sous-futaie appauvris
du massif de Colombey-les-2-Eglises autrement qu’avec du sapin pectiné par
exemple, pour la plus grande joie des cervidés !
J’ai
eu également la chance de gérer l’exceptionnelle forêt domaniale de La
Perthe en Champagne crayeuse (Aube) entre 1970 et 1979 ; Ancien terrain
d’aviation abandonné après la Seconde Guerre, celui-ci n’offrait, là où
il était boisé, que le spectacle de savarts champenois clairsemés, vestiges
des tentatives de reboisement des friches champenoises au XIX° siècle. Cette forêt, devenue un îlot boisé au milieu du glacis céréalier
créé entre Troyes et les Ardennes, a été mise en valeur grâce aux pins
laricio et noir. Tous les essais que j’ai pu y tenter pour acclimater autre
chose, le cèdre par exemple, furent des échecs :
(il n’y avait aucun arboretum exemplaire à proximité) .
Je
suis donc persuadé qu’il faut maintenir les arboreta importants et savoir les
gérer pour en retirer un maximum d’enseignement. On plantera peut-être un
jour Abies procera Rehder (nobilis Lindl.) ou encore Pinus peuce Grisebach (ceux de Pézanin sont beaux)
à une échelle plus significative, bien que la panoplie actuelle disponible
semble pouvoir satisfaire beaucoup de demandes.
Mais
tous les cas de figures sont-ils honorés à leur optimum ? J’ai évoqué
rapidement le cas de la forêt de la Perthe, aujourd’hui devenue une relique
après avoir été sauvée d’extrême justesse d’un défrichement certain grâce
à l’arbitrage du Chef de l’Etat lui-même. Si elle doit être « biodiversifiée »
pour échapper à la monoculture du pin noir/laricio, comment ne pas recourir à
des espèces moins courantes ?
L’exclusivité
concédée au pin à crochets dans le sud du Massif Central, en limite supérieure
des reboisements, sera-t-elle un
jour étoffée grâce à quelque bon résultat tiré de la longue expérience
lancée à l’Hort-de-Dieu ?
Les
besoins en reboisements péri-urbains, nécessairement ultra-diversifiés, ne
feront-ils pas appel à quelques espèces forestières complémentaires encore
« dormantes » dans nos arboreta ?
Cela
n’est pas impossible et personnellement, je n’en serais nullement choqué.
Que Pézanin et les arboreta cévenols de Georges Fabre et de Charles Flahault
livrent enfin leur enseignement, à l’issue d’une longue probation me paraît
envisageable.
Je
ne voudrais pas terminer ces lignes sans citer le groupe de propriétaires
forestiers qui lancent, encore de nos jours, de nouveaux arboreta avec une
passion qui force l’admiration. J’ai personnellement aidé le « Groupement
Gardois pour le Développement Forestier » à implanter de petites unités
d’observation, par exemple, dans la forêt communale de Nîmes. Il est intéressant
d’écouter l’argumentation de ces promoteurs, qui recoupe l’élan de nos
grands prédécesseurs : il ne faut pas passer à côté de l’éventuel
arbre-miracle, (s’il existe !), celui qui honorera nos terrains
ingrats..Il faut créer de vrais « herbiers » vivants, accessibles
aux hommes et notamment aux enfants, pour leur apprendre à connaître le prix
de la forêt, les difficultés de son installation dans les milieux où elle
représente le facteur déterminant de protection. Il faut inculquer l’amour
de l’arbre, objet de solidarité entre les hommes et de continuité entre les
générations, le respect de la vie que l’on perpétue lorsque l’on creuse
chaque potet de reboisement.
[1]
Ingénieur en Chef du Génie rural, des Eaux et
des Forêts. Ancien chef des services départementaux de de l’Office
National des forêts : Aube (1970 -1979), Saône-et-Loire (1979 -1984),
Gard (1984 -1994) . Chargé de Mission à la Délégation pour la
Protection de la forêt méditerranéenne